samedi 20 mars 2021

Ecrits-miroirs

1. Rencontre. 
 
Bastien prit une feuille et se mit à écrire. Vite. Toujours plus vite, de plus en plus vite au fur et à mesure de ses larmes et de la disparition de son corps. Puis ce fut le noir.
 
Bastien ouvrit les yeux, cligna trois fois des paupières. Il n’y avait que le noir. Près de lui il entendit une musique sourde, un peu inquiétante. Il y eut une lueur et Bastien vit qu’il était dans le vide. Près de son cœur se tenait un être plus précieux que tout ce qui peut exister. Mais Bastien ne le savait pas. C’est un être d’encre et d’eau, de larmes et de sang, un être de givre et de vent, aux ailes noires et à l’aura argentée, aux griffes méticuleusement entretenues pour griffer et percer la chair, percer l’âme. Le rayonnement de la lueur augmenta. Bastien était perdu. Il ne faisait rien, ne disait rien, ne pensait à rien.


Elanore se laissait emporter par le vent. Ses cheveux aux reflets de feu et ses yeux aux couleurs de la nuit brillaient sous la lune et les étoiles. Le vent la portait par-dessus les champs et les prés fleuris. Elle était calme et riait en silence, les deux ailes déployées. Il y eut un éclair blanc dans la nuit et Elanore s’évanouit à l’orée d’un bois.

Elanore ouvrit les yeux, ne vit rien. Tout était gris. Pas exactement gris mais plutôt blanc qui, parfois, se teintait de gris. Près de son cœur se tenait un être plus précieux que tout ce qui peut être inventé. Mais Elanore ne le savait pas. C’était un être d’os et de chair, avec une âme noire, un jeune homme aux longs cheveux noirs et dont les yeux donnaient formes aux êtres du vent. Au loin une tâche sombre apparue. Elanor ne pouvait bouger. Mais, suivant la musique propre à ceux de sa race, elle chantait.
 
 
 
2. Commencement.
 
Un corps dans une brume blanche, replié sur lui-même, nu dans l’immobilité de l’espace, sans passé ni avenir, sans présent, sans émotions ni pensées, un être vivant, sans souffle… peut-être même sans âme. Ce n’est pas un végétal, ni un animal…c’est un humain, ni homme ni femme, ni vieillard ni enfant. Un souffle passe dans la brume. Un ronflement se fait entendre, sourd dans l’immobilité grise et infinie de la plaine. Puis un battement et enfin un cri s’échappe du corps. Tout devient blanc. Tout devient noir.
 
Deux corps sont enlacés sous la pluie. Deux cœurs battent à l’unisson. Il est habillé de blanc, Elle est vêtue de noir ; leur première discordance. Leurs chevelures longues et brunes sont mêlées sur leurs épaules, leurs yeux noirs et profonds sont clos. Leurs corps sont liés l’un à l’autre dans une étreinte charnelle passionnée. Autour d’eux la brume grise qui passe sous forme de nuage laisse entrevoir des lacs et des collines. Tout est silencieux, on n’entend que leur souffle lent et leurs cœurs en fusion. Et puis, une voix inconnue se fait entendre. Il y eut un soir, il y eut un matin.
 
Deux âmes s’affrontent dans le vide du monde. Il parle avec sa raison et lui lance ses inventions assassines en priant son dieu irrationnel. Elle invoque les Dieux et la magie avec son cœur, riposte par des sortilèges d’amour meurtriers. Les yeux de l’homme sont gris à présent ; ses cheveux aussi, tout comme ce qu’il a battit entre ciel et terre et qu’il appelle le monde. La femme vit dans la terre, dans l’eau, dans le vent et les cieux ; ses cheveux ont des reflets de flammes et ses yeux noirs ont l’éclat de la glace. Ils sont liés dans ce combat infini. Tout est gris ; infiniment il est des jours, il est des nuits.
 
 
 
3. Avant le monde.
 
Une feuille frémit dans le vent. Elle cache un petit être pâle et maladif. Dans le vent d’automne, sous une feuille de chêne, un petit être frémit.
 
C’est dans une forêt ancestrale, plus vieille que le monde des hommes, plus vieille que celui des dieux, que vivent le chêne, la feuille et le petit être. Mais ils n’y sont pas seuls…
 
Dans cette forêt vivent des milliers de feuilles et des milliers de chênes, des milliers d’arbres de toutes sortes, et d’autres petits êtres à la peau pâle ; mais il y vit aussi bon nombre d’animaux, connus et inconnus des hommes, connus et inconnus des dieux…
 
Pour y entrer, il ne faut pas la chercher ; elle ne se situe pas géographiquement car les êtres qui la composent, animaux et végétaux, ont tous la capacité de se déplacer… Elle n’est pas en ce monde et pourtant toujours présente, elle n’est pas dans l’au-delà, ni en féerie et pourtant, là aussi elle y est toujours…
 
Les arbres et les animaux y parlent un langage fabuleux... Les légendes de tous les peuples, ces légendes aussi anciennes que la forêt elle-même le disent, c’est une vieille prophétie :
 
« De tous ceux qui viendront à être, seuls les êtres que la forêt créer pourront y entrer ; seul les grandes-gens aux longs cheveux d’argent ou de feux, aux chants ancestraux et poétiques, ces enfants verts que les légendes des communs appellerons Elfes, ces enfants gris venus de la mer pour retourner à la mer, seront les seuls à pouvoir retrouver leurs racines au creux des miennes. »
 
C’était un soir ou un matin, à l’aube ou au crépuscule, sous le soleil ou sous la pluie. C’était demain ou hier, aujourd’hui, ici ou là-bas ; je me suis retrouvée à l’orée d’une forêt immense, une forêt en colère qui m’attirait à elle… Je ne sais ce que j’y ai trouvé, ni ce que j’y ai fait mais je me suis réveillée dans un champ d’étoiles blanches et bleues, couronnée d’argent…
 
 
 
4. Astres.
 
Elle est blanche et légère, son chant est doux, son peuple sauvage ; elle avance dans la nuit à la recherche d’un métal plus précieux que celui des nains, plus brillant que celui des dieux, plus solide que celui des hommes. Ses enfants la vénèrent et les étoiles tissent éternellement sa robe de velours, moirée de bleu et de noir. Elle est poursuivit par celui qui créer le métal précieux dont est fait le cœur des hommes…
 
Il est d’or et brille de mille feux ; il la cherche, sans répit, mais elle n’aime que la nuit et sa lumière lui fait peur. Il aime apprivoiser les choses et les gens, les caressant de ses rayons tantôt doux et chauds comme une cuillerée de miel, tantôt rêche et brûlant comme les rocs acérés des déserts. Il fait le fier dans sa toute puissance mais quand les vents abattent sur le sol l’eau des nuages et que, parfois, ils la transforment en glace, alors tout penaud l’astre d’or continue sa quête…
 
Et pourtant, dans cette poursuite infernale, au milieu des cieux vides, alors qu’il la cherche et qu’elle le fuit, il lui donne vie aux yeux des hommes et elle lui donne une raison d’être…
 
 
Un jour, alors que le monde n’était pas le monde et que les dieux gisaient encore pour un temps dans le vide (où ils sont retournés depuis), l’astre solaire et la Lune étaient deux enfants, deux cailloux, l’un d’or et l’autre d’argent. Ensemble, ils jouaient dans le néant : lui toujours plein d’entrain, parfois doux, parfois violent ; elle toujours mélancolique, parfois avec un doux sourire, parfois avec des larmes de verre. Un jour, l’enfant d’or vint trouver sa sombre amie et lui dit :
 
« Les dieux se sont éveillés pour un temps court ; ils se concertent pour une création. Quoiqu’il arrive, jure-moi que nous resterons ensemble ! »
 
Ce à quoi l’enfant d’argent, qui avait plus de sagesse que son frivole compagnon, lui répondit :
 
« Je ne peux rien te jurer ; tu sais que si les dieux se sont éveillés c’est le signe d’un grand changement ; il se pourrait bien que nous soyons concernés cette fois-ci ; je ne peux rien te promettre… Tu sais aussi que si les dieux sont actifs nos esprits et nos corps ne sont plus immuables… N’entends-tu pas déjà leur appel ? Ils ont besoins de nous pour éclairer leur création qu’ils ont appelé monde… »
 
A peine l’astre lunaire avait-elle finit son explication qu’un dieu s’était emparé du Soleil et le grossissait, le grossissait à tel point qu’il devenait éblouissant et brûlant et que nul autre que les dieux ne pouvaient plus le toucher ou même l’approcher. De son côté, la Lune était sous l’emprise d’une déesse ; moins puissante que le dieu ; la déesse grossit un peu la Lune mais ne lui donna aucun éclat. Les dieux s’étaient concertés et avaient décidé que le Soleil devait éclairer les jours des hommes ; et les déesses avaient eu pitié de la peur des hommes face à la nuit, alors elles mirent la Lune comme repère dans les ténèbres et demandèrent aux dieux que la Lune soit éclairée par le soleil, depuis l’antre où il se reposait toutes les nuits. Ainsi, la Lune, toujours mélancolique, plus encore depuis qu'elle avait perdu son ami, avait prit avec elle la pitié des déesses et reflétait la lumière du Soleil pour éclairer les nuits des hommes. Et certaines nuits les hommes ne la voient pas : trop triste et fatiguée de fuir ce qu’elle cherche tant, ce sentiment que les hommes appellent innamoramento, elle reste dans le vide originel et pleure des larmes de cristal.

Ville

Ville grondante
Le soir tu te meurs
Ville grisâtre
Le flot des pieds et des têtes
Emporte ta raison
Ville froide
Que fais-tu de moi? libérée ou prisonnière,
Tu me vomis.
 
(02 mars 2006)

Ce qu'elle voulait


Ce qu'elle voulait c'était
Un été de pluie et un automne de tempête
La mer, la lande et les côtes écharpées
Le souffle venu de la mer
 
Ce qu'elle voulait c'était
Le vent doux et chaud
Les soirs tranquilles sur la terrasse
Et écouter les derniers chants d'oiseaux
 
Ce qu'elle voulait c'était
Une étreinte de passion au cœur de l'hiver
Un printemps plein de rire
Et s'endormir dans tes bras.

L’étranger de l’hiver


Tu te demandais, quelle sorte de créature ce froid annonçait.
 Tu n’aimes pas ce manteau blanc de janvier
Mais tu offres ton visage au froid mordant du vent.
 Tu penses à cette créature, cet être, peut-être pas vraiment humain.
 
Tu te demandais, quelle sorte de créature ce froid annonçait.
Dans le blanc et le gris tu laisses ton esprit s’évader.
Cet hiver est comme ta vie, immense, froid et infini
Mais tu lui offre ton corps, pour tout effacer, tout oublier.
 
Tu t’imaginais, quelle sorte de créature ce froid annonçait
Et tu t’imaginais, ce que le froid allait apporter.
 
Et puis, un mardi, en hiver, dans ce même froid, tu le croiseras.
Ce sera un étranger, mais pas comme tous ces étrangers.
Ce sera un étranger, un exilé, un oublié de la vie
Et tu le croiseras, et tu sauras le nom de l’étranger de l’hiver.
 
Tu sauras sa vie et sa douleur
Il saura tes peines et tes regrets
Et il saura ton désert et ta vie.
 
Et toi, la fille de l’automne
Sœur du vent et de la pluie
Toi, tu aimeras cet étranger de l’hiver
Maître de la nuit, fils du froid
 
Et lui, l’étranger de l’hiver
Dont le destin est lié aux étoiles
Lui, il t’aimera.
 
Alors l’étranger de l’hiver
T’enveloppera, étrangère du jour
Et dans ses habits noirs
Laissera vous engloutir le froid.
 
(25 janvier 2005)

dimanche 16 février 2014

Trois textes pour une rencontre

1. Lui.

La place Rouge était vide. Au café Pouchkine, un homme en noir était assis à côté de la fenêtre. Il regardait l'étendue si contrastée du rouge et du blanc de la neige. Il était vingt-trois heure. Soudain, un point minuscule apparaît à l'autre bout de l'immense place.

" Je la vois enfin, avançant à petits pas sur la neige et la glace de la place. Je suis seul dans ce café, la regardant venir, l'attendant devant mon verre de vodka. Je ne distingue pour l'instant que le rouge sombre de son manteau et de ses bottines. Son petit chapeau de fourrure blanc cassé se détache du ciel étoilé de l'hiver. Elle est au milieu de la place et s'arrête un instant. Elle regarde, lentement le paysage urbain qui l'entoure. Je devine un sourire lorsqu'elle s'arrête face au café Pouchkine et qu'elle se remet en marche. Prudemment, elle traverse une plaque de glace. Elle tient un livre à la main. Ses longs cheveux blonds ondulent sur ses épaules. Pas de doute, elle est bien Russe." La clochette retentit. Il se lève et l'accueille à sa table, lui fait la bise ; "Zofia…". Elle pose son livre sur la table, un Tchekhov. D'un signe de tête elle acquiesce au barman qui lui propose une tasse de chocolat, "comme d'habitude" dit-elle. Les yeux dans les yeux, les deux jeunes gens murmurent pour ne pas troubler le silence si confortable. Dans la dure nuit de Moscou, un jeune couple s'embrase.
Au petit matin, la place Rouge était vide.


2. D'Elle à lui

La place Rouge était vide. Dans une rue une jeune femme presse le pas. Elle est impatiente mais avance prudemment sur la neige. Vers vingt-trois heure elle arrive sur la place.

" Voilà enfin la place. Il ne me reste qu'à traverser cette mer de glace. Je ne distingue pas encore la lumière de chez Pouchkine des autres lumières. J'avance doucement, serrant Les Trois sœurs de Tchekhov contre moi. Je suis au milieu de la place. Je m'arrête ; je sais qu'il est là, qu'il m'attend, je le laisse m'observer. Je tourne sur moi-même, m'imprégnant de ce paysage rouge et blanc si familier. Je m'arrête à nouveau, face au café et le savoir là me fait sourire ; sa silhouette noire se détache dans la lumière. Je me remets en marche, prudemment mais impatiente.
Lentement je traverse la dernière plaque de glace… c'est un bon prétexte pour le dévisager, ma mémoire à l'aide de mes yeux. Son regard noir si profond, ses longs cheveux noirs ; ses éternels vêtements sombres, ses mâchoires musclées et son air mystérieux."
La clochette retentit. Il s'est levé ; elle le regarde et son mètre quatre-vingt dix lui fait penser à ses talons hauts. Une bise ; "Alan…". Elle a posé son livre ; il le prend, le feuillète et le repose.

Les yeux dans les yeux, les deux jeunes gens murmurent pour ne pas troubler le silence si confortable. Dans la cruelle nuit de Moscou, un jeune couple sort de chez Pouchkine. Au petit matin,

la place Rouge était vide.


3. Eux, éternellement.

La place Rouge était vide. Un homme au café Pouchkine, une femme dans une rue. Il l'attend, elle arrive. Soudain il l'aperçoit, elle est au bout de la place..
"La voilà…"
"Enfin !"
"Toujours la même, habillée de rouge et de fourrure, la plus brillante des étoiles du ciel d'hiver. Au milieu de la place, je crois qu'elle me sourit."
"Une mer de glace à traverser. Je le distingue à peine mais je sais qu'il est le même: vêtu de sombre, yeux et cheveux noirs ; il m'attend."
"Elle est comme son pays, belle et froide, ses cheveux blonds ondulants sur ses épaules…une dernière plaque de glace…"
"Je me sens chez moi dans ce décor rouge et blanc ; comment cet homme si sombre, cet homme moitié anglais, moitié français, peut-il se sentir bien dans mon pays? Me demandera-t-il de le suivre? …"

La clochette retentit. Il se lève lorsqu'elle entre ; ils se font la bise ; "Zofia…" "Alan…". Elle prend une habituelle tasse de chocolat chaud pendant qu'il feuillète Les Trois sœurs, le livre de Tchekhov qu'elle a apporté. Ils s'assoient, face à face et se murmurent de tendres choses pour ne pas troubler le silence ouaté de l'hiver.
Dans la nuit noire de Moscou, un jeune couple se promène.
A l'aube,

la place Rouge est vide.



(Février 2005)

mardi 10 décembre 2013

Dans les bois

Quel ange étais-tu
Dans les bois morts de l'hiver?
La ville engourdie à tes pieds
Et le soleil pâle qui te voilait d'or

Quel ange étais-tu
Dans les bois morts de l'hiver?
Quand l'enfance court entre les arbres
La tienne, la leur

Quel ange étais-tu
Dans les bois morts de l'hiver?
Déesse, diablesse ou simple mortelle
Qui erre dans les bois morts de l'hiver.

(février 2004)